Si nous ne possédons que peu d’informations sur Jean Pierre Meillier, l’état civil nous renseigne cependant sur son identité. Il est mentionné pour la première fois en l’an 1 (1792) dans le registre des naissances du village de Beautiran, où il apparaît en tant que père de Tell Brutus Montaigne, puis en l’an 3, père d’Auguste. Naissent ensuite Élisabeth Sophie (21 frimaire an VII) et Thère Valérie (23 nivôse an X).
Les prénoms d’enfants portent la marque de l’origine suisse (Tell) et de l’insertion bordelaise (Montaigne), mais aussi de la mode révolutionnaire des héros romains. Meillier est bien dans son temps, et très probablement positif à l’égard du mouvement républicain en cours.
Le lieu de naissance des époux Meillier est indiqué. Tous deux sont suisses, natifs de Boudry, canton de Neuchâtel. Meillier fait donc partie de cette génération d’immigrants suisses spécialisés dans l’indiennage, arrivés dans une France en manque d’ouvriers spécialisés en 1759, à la levée de la prohibition.
Rien ne permet d’affirmer que Meillier était protestant. Cependant, on peut supposer qu’il a hérité d’une certaine rigueur et d’une vision du travail que partageaient ces « entrepreneurs de la première génération ». Ces entrepreneurs quelque peu aventureux sont jeunes. La moitié des fabriques créées sous la Révolution française le sont par des hommes de moins de trente-deux ans. Meillier, en 1793, est de cette génération.
En outre, un tiers d’entre eux sont étrangers. « Vous êtes étrangers au pays et vous n’avez rien à risquer » écrit le père de Christophe Philippe et Frédéric Oberkampf à ses fils. L’ardeur dont font preuve ces entrepreneurs suisses et allemands en particulier se rapproche de celles de conquérants. La ténacité de Christophe Philippe Oberkampf et sa volonté de réussir illustrent bien la mentalité que partagent nombre de ces candidats à l’entreprise. C’est en s’efforçant d’améliorer ses compétences techniques et faisant très strictement des économies qu’il est parvenu à l’âge de vingt et un ans à créer sa propre manufacture à Jouy-en-Josas en 1760.
Ces étrangers sont pétris d’une véritable culture professionnelle « de métier », mélange de savoir, de savoir-faire et d’attitude vis-à-vis du travail et de la communauté des compagnons.
Leur rapport au travail, issu d’un mélange d’éthique protestante et de pragmatisme leur donne une certaine lucidité sur la manière de gérer au mieux leur entreprise. Beaucoup ont un train de vie très sobre, malgré une indéniable prospérité, car ils ont conservé un sens de l’économie et on sait que Jean Pierre Meillier créateur de Beautiran accordait grande importance à la qualité des produits utilisés, allant jusqu’à refuser certaines futailles de garances au risque d’une pénalisation financière. De même, la finesse des impressions le préoccupait. Ces aspects laissent supposer un esprit tenace, lucide et ambitieux. Il fait peut-être également preuve d’opportunisme en épousant la sœur d’un négociant patenté, David Verdonnet, engagé dans de nombreux échanges avec l’Amérique et les Caraïbes, et nous savons qu’il participe à l’armement d’un navire négrier, l’Africain, en 1814. Les alliances matrimoniales unissant le monde du négoce à celui de l’entreprise sont fréquentes. Ainsi de l’association matrimoniale, à Jouy, des familles de l’indienneur Oberkampf et de celle du banquier Mallet. Elles permettent aux manufacturiers un apport d’argent, un élargissement de leur réseau d’information et de commercialisation, éventuellement une diversification des investissements.